Parentalité : les regards inspirants d’Héloïse Junier et Cédric Rostein
9 avril 2025 | Informations

La parentalité, ce n’est pas une théorie. C’est un vécu, mouvant, intense, fait de tâtonnements, d’élans du cœur et parfois de solitude. Devenir parent transforme, parfois bouleverse, notre rapport au monde, à l’autre, à nous-même.
Dans un monde en mutation, les familles font face à de nombreux problèmes, qu’ils soient éducatifs, émotionnels, économiques ou sociaux. La parentalité s’inscrit désormais au croisement de dimensions intimes et sociales, engageant non seulement les parents mais aussi les institutions dans une responsabilité partagée.
Au salon Abc kidz, nous avons voulu donner la parole à celles et ceux qui explorent ces zones sensibles avec humanité et engagement. Ces voix nous aident à mieux comprendre les dynamiques sociales à l’œuvre dans les familles d’aujourd’hui, et à identifier les ressources d’accompagnement disponibles et les actions concrètes à mettre en place pour faire face aux défis contemporains liés à la parentalité et à l’enfance.
Héloïse Junier, psychologue, et Cédric Rostein, créateur du podcast Papatriarcat, ont accepté de répondre à nos trois questions autour de la parentalité.
Entre authenticité, recul et espoir, leurs réponses résonnent comme des balises précieuses pour tous les (futurs) parents. Elles offrent aussi des pistes pour enrichir les politiques de prévention et de soutien à la parentalité, en tenant compte de la diversité des expériences et des besoins.
Un grand merci à eux pour leur présence généreuse lors de notre évènement, et pour leurs mots qui ont nourri la réflexion autant que le lien lors de cette sixième édition du salon. Ces moments de partage furent aussi l’occasion de sensibiliser les professionnels du secteur à la nécessité d’investir dans la formation, afin de développer les compétences relationnelles, éducatives et émotionnelles de tous ceux qui accompagnent les enfants.
Parentalité rime avec…
Héloïse Junier :
« Parentalité rime avec… humilité ! C’est clairement le premier mot qui me vient en tête. J’ai beau avoir un doctorat en psychologie de l’enfant et quelques livres sur la parentalité à mon actif, je me retrouve régulièrement démunie en tant que maman. La connaissance ne nous préserve pas de la difficulté, par moments, d’être parent ! »
Cette déclaration met en lumière un paradoxe essentiel : même les expert(e)s peuvent douter et rencontrer des difficultés. Héloïse Junier nous invite ici à renoncer à l’idéal d’un parent parfait ou infaillible. En affirmant que la connaissance ne suffit pas toujours, elle redonne une juste place à l’expérience vécue, avec ses hésitations et ses tâtonnements.
Cédric Rostein :
« Parentalité rime avec… évolution. Ce n’est pas un état figé, mais un chemin où l’on apprend chaque jour, où l’on déconstruit des schémas et où l’on grandit en même temps que son enfant. »
Cédric Rostein pose un regard ouvert et dynamique sur le rôle de parent. Il rappelle que la parentalité est influencée par le contexte social et culturel, mais aussi par les changements vécus au fil des années, et implique un processus d’adaptation permanent. Grandir avec son enfant, c’est apprendre à réagir face aux problèmes inédits posés par notre époque, notamment en matière de santé mentale, d’égalité entre les sexes, ou encore d’éducation numérique. Grandir avec son enfant, c’est aussi accepter de revoir nos propres repères, remettre en question certains réflexes, et nous interroger sur l’éducation que nous avons nous-même reçu.
Ces deux réponses révèlent une réalité souvent éloignée des représentations idéalisées : devenir parent, c’est aussi apprendre à mieux se connaître, au fil des jours, avec et grâce à son enfant. Et chaque enfant rejoignant le cocon familial, avec sa singularité, fait bouger les lignes et l’équilibre d’abord construit à 2 lorsque le couple s’est constitué, et nous invite à évoluer… avec humilité !
La principale idée reçue contre laquelle vous souhaitez lutter ?
Héloïse Junier :
« Contrairement à ce que l’on peut entendre souvent en France, l’enfant n’est pas un être capricieux ou manipulateur qui cherche à tester l’adulte ou à le provoquer. Les études actuelles soulignent la vulnérabilité des jeunes enfants, leur besoin profond de bienveillance et leur prédisposition innée à l’empathie et à la moralité. »
Par cette mise au point, Héloïse Junier déconstruit l’une des croyances les plus persistantes autour du comportement des jeunes enfants. Ce regard va à l’encontre de certaines croyances issues d’une culture parentale marquée par l’idée de contrôle, et représente une action de prévention : il s’agit de déconstruire les idées reçues pour mieux accompagner l’enfant, dans le respect de ses besoins affectifs et cognitifs.
Loin de manipuler ou provoquer l’adulte délibérément, les enfants expriment surtout des besoins fondamentaux. Cette perspective appelle à davantage d’écoute et de compréhension, en s’appuyant sur les connaissances actuelles en psychologie du développement.
En effet, les avancées récentes en neurosciences et en psychologie du développement ont permis de mieux comprendre les réactions émotionnelles des jeunes enfants, souvent qualifiées autrefois de « caprices ». Chez les tout-petits, le cortex préfrontal, responsable de la régulation des émotions et du contrôle des impulsions, est encore immature. Ainsi, lorsqu’un enfant est submergé par des émotions intenses telles que la frustration ou la colère, il n’a pas encore la capacité neurologique de les gérer de manière rationnelle. Ces manifestations ne sont donc pas des tentatives délibérées de manipulation, mais plutôt l’expression spontanée d’émotions qu’il ne sait pas encore contrôler. Il est essentiel pour les adultes d’accompagner l’enfant avec empathie, en reconnaissant ses émotions et en lui fournissant des outils pour les comprendre et les gérer progressivement, à mesure qu’il grandit.
Cédric Rostein :
« Que l’autorité passe par la domination. L’idée qu’il faut imposer, contrôler et contraindre pour bien éduquer est encore très ancrée. Accompagner un enfant avec respect, sans violence, ce n’est pas être laxiste, c’est lui offrir un cadre sécurisant au sein duquel il peut s’épanouir et apprendre à respecter les autres. »
Cédric Rostein s’attaque ici à une vision encore très enracinée de l’autorité. Il rappelle que l’exercice d’une autorité respectueuse n’exclut ni le cadre ni la cohérence, mais refuse la contrainte ou la peur comme leviers éducatifs. Cette posture invite à repenser la relation adulte-enfant sur la base du respect mutuel.
Il remet en cause un modèle éducatif hérité d’une époque où la violence éducative était banalisée. Aujourd’hui, dans une perspective de transformation sociale et politique, de nombreuses associations, chercheurs et professionnels de santé et de petite enfance plaident pour une éducation respectueuse des droits de l’enfant et un accompagnement parental fondé sur le respect mutuel.
Les violences éducatives ordinaires (VEO) désignent l’ensemble des pratiques coercitives utilisées dans l’éducation des enfants, souvent perçues comme anodines ou justifiées par la nécessité de discipline. Elles incluent les punitions corporelles (comme les fessées ou les tapes), les humiliations verbales (moqueries, cris, menaces), ainsi que les formes de chantage affectif ou de privation. Longtemps considérées comme des méthodes éducatives traditionnelles, les recherches en neurosciences et en psychologie du développement montrent qu’elles ont des conséquences négatives sur le bien-être et le développement de l’enfant. Elles peuvent altérer son estime de soi, accroître son stress et influencer négativement son rapport aux autres. De plus en plus de spécialistes et d’organisations internationales recommandent une éducation bienveillante, fondée sur l’accompagnement et la communication, afin de favoriser un développement émotionnel sain et respectueux des droits de l’enfant.
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Si vous aviez un conseil à donner à de futurs / jeunes parents, quel serait-il ?
Héloïse Junier :
« Même si votre entourage vous le déconseille, ne vous privez jamais de câliner votre enfant, de le consoler, de le porter, de le bercer, de dormir à ses côtés, aussi longtemps que vous le souhaitez. Ces temps de grande proximité sont essentiels à la construction du lien fort qui vous unit. Vous verrez, dans 30 ans, ce seront les plus beaux souvenirs de votre vie ! »
Dans un contexte où les recommandations sur le sommeil, l’autonomie ou l’attachement reçues par les parents sont parfois contradictoires malgré les dernières études scientifiques sur ces sujets, ce conseil vient recentrer les priorités. Héloïse Junier invite ici à écouter son instinct de parent et à s’autoriser la tendresse. Le lien affectif se construit dans ces gestes simples, que l’on retient toute une vie.
Le lien d’attachement est fondamental pour le développement émotionnel et social de l’enfant, car il lui apporte sécurité et confiance en lui et en son environnement. Il se construit dès la naissance à travers des interactions bienveillantes avec vous, parents, qui êtes ses “figures d’attachement”. Ce qu’on appelle le maternage proximal, qui inclut des pratiques comme le portage, l’allaitement à la demande, le co-dodo (dans un lit spécifique répondant aux normes de sécurité) ou encore votre réponse rapide aux pleurs pendant les 6 premiers mois de vie de votre enfant, favorise ce lien en répondant aux besoins physiologiques et affectifs du bébé. Ces interactions renforcent la sécurité affective de l’enfant, ce qui lui permettra, en grandissant, d’explorer le monde avec assurance et de développer des relations équilibrées avec les autres.
Cédric Rostein :
« N’essayez pas d’être des parents parfaits, mais des parents présents. Acceptez que vous allez faire des erreurs, que c’est normal, et que l’essentiel, c’est la relation que vous construisez avec votre enfant. Et surtout, prenez soin de vous : on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas. »
Cédric Rostein met en lumière un enjeu majeur de la parentalité moderne : la pression de la perfection. Il propose de la remplacer par une présence authentique, imparfaite mais sincère. Ce conseil rappelle aussi que prendre soin de soi n’est pas égoïste, mais nécessaire à une relation parent-enfant équilibrée.
Nous complétons cette idée évoquée par Cédric par 3 conseils clés pour offrir à votre / vos enfant(s) une présence parentale attentive :
- Lui accorder du temps de qualité et l’écouter avec attention : même quelques minutes d’attention exclusive (sans écrans ni distractions, le linge et la vaisselle peuvent attendre un peu 😉) ont un impact fort sur le lien avec votre enfant. Tentez de pratiquer l’écoute active en reformulant ce que dit votre enfant et en nommant les émotions qu’il semble ressentir, sans les minimiser ni les juger.
Limitez l’usage du téléphone / des écrans lorsque vous êtes avec votre enfant pour lui montrer qu’il est votre priorité à cet instant. - Créer des rituels et encourager son autonomie : les routines du quotidien (repas en famille, lecture du soir, moments de jeu) apportent un cadre sécurisant et renforcent le lien parent-enfant. Laissez votre enfant expérimenter et apprendre par lui-même tout en lui indiquant que vous serez toujours là pour l’aider s’il ou elle en a besoin.
- Être conscient de son propre état émotionnel : un parent serein et apaisé est plus disponible pour son enfant. Mais en pratique, il est impossible d’être “serein et apaisé” en permanence ! Aussi, n’hésitez pas à nommer vos propres émotions, à expliquer ce que vous traversez, à dire : “là, je suis trop en colère, il faut que je prenne l’air 5 minutes”, etc. Si cela vous est possible, vous octroyer du temps seul(e) ou à 2 sans enfant, pour discuter, voir des amis, faire du sport ou une activité qui vous fait du bien, participe à votre bonne santé mentale. Prendre soin de soi permet d’être plus présent et attentif en famille.
L’essentiel est d’être dans une présence authentique, où l’enfant se sent vu, entendu et aimé inconditionnellement.
2 regards sensibles et bienveillants
Au fil de leurs réponses, Héloïse Junier et Cédric Rostein nous rappellent que la parentalité n’a rien d’un mode d’emploi figé. Elle se vit dans la nuance, dans les ajustements du quotidien, dans la tendresse comme dans les doutes.
Leurs paroles, ancrées dans l’expérience autant que dans l’expertise, éclairent le chemin de nombreux parents en quête de sens et de repères. Elles rappellent aussi qu’il n’existe pas de bonne façon d’être parent, mais qu’il y a mille manières d’être juste, présent, attentif, parce que chaque parent est unique, comme chaque enfant l’est !
Ils rappellent chacun à leur manière que l’essentiel réside dans le lien. La tendresse, l’écoute, la disponibilité émotionnelle : autant de ressources parfois fragilisées dans un quotidien sous tension.
Leurs conseils résonnent comme des appels à ralentir, à faire confiance à ses intuitions, à chercher du soutien si nécessaire. Les problèmes parentaux ne sont pas des signes d’échec : ils sont souvent l’occasion d’apprendre, de s’ajuster, de grandir.
Et pour cela, il est crucial que la politique sociale soutienne activement les familles, avec des services accessibles, des congés parentaux adaptés, une réelle valorisation des rôles éducatifs – notamment ceux des femmes, encore trop souvent en première ligne dans la charge mentale et émotionnelle liée aux enfants.
Deux conférences lors du salon Abc kidz
Le samedi 22 mars, les visiteurs du salon Abc kidz ont eu l’occasion d’assister à deux conférences marquantes portées par nos invités :
- À 10h30, Héloïse Junier a abordé les relations fraternelles à travers la conférence : « Les frères et sœurs : une histoire de complicité et de rivalité ».
- À 14h30, Cédric Rostein a proposé une réflexion engagée sur « Les enjeux des parentalités au 21e siècle », un moment fort, qui a mis en lumière la nécessité d’une politique de la parentalité plus ambitieuse et inclusive.
À l’issue de ces échanges, des séances de dédicace se sont tenues sur le stand Cultura, permettant aux participants de prolonger les discussions dans un cadre plus personnel.
Un grand merci à eux pour la qualité de leurs interventions et la sincérité de leurs échanges engagés, qui resteront, sans nul doute, des moments marquants du salon Abc kidz 2025.
Pour aller plus loin
- Écouter le podcast Papatriarcat, animé par Cédric Rostein. Ce podcast aborde avec franchise et profondeur des sujets liés à la parentalité, aux paternités, au féminisme, aux stéréotypes de genre et aux droits de l’enfant.
- Découvrir les ouvrages d’Héloïse Junier, qui rendent accessibles les apports de la psychologie de l’enfant, notamment sur les émotions, les besoins fondamentaux et le rôle du parent dans l’accompagnement au quotidien.
- Explorer les ressources pédagogiques proposées par des structures engagées comme le site mpedia.fr , pensé par des pédiatres pour accompagner les familles avec fiabilité, ou les rencontres et ateliers gratuits régulièrement proposés par l’Union départementale des associations familiales de la Gironde (Udaf).
Crédits photos : Muriel Meynard Photographie